La Muse – Chapitre 12

Où es-tu Bonnie Calamity ?

Dans le train qui le ramenait à Paris, Alex n’en revenait toujours pas. C’était elle ! Antigone n’était autre que la rouquine folle aux demandes farfelues qui la dernière fois qu’il l’avait vue lui avait lancé un magistral doigt d’honneur. Elle qui était partie en claquant la porte, elle qui pensait ne plus jamais revoir. Elle s’était débrouillée pour pouvoir lui parler et elle s’était excusée, oui elle s’était excusée certainement pour son comportement de la dernière fois. Il sortit son téléphone portable de sa poche, le fixa, glissa son pouce sur l’écran.

Quel imbécile ! C’est elle qui avait son numéro, pas lui. Et si elle ne le rappelait jamais ? Tout ce qu’il savait d’elle c’est qu’elle se prénommait Antigone, qu’elle était rousse, qu’elle habitait Orléans, qu’elle s’était fait dédicacer tous ses romans une fois parus et qu’elle lui avait renversé un jour du café sur son pantalon. Mais quel abruti !

Il ne pouvait se retirer de l’esprit cette dernière image, elle retirant sa perruque et pleurant, oui il l’avait vu, il en était sûr, elle pleurait, des gouttes d’eau brisaient sa vision sur ses lunettes, ces fameuses lunettes qu’il aurait dû reconnaître, mais aussi des larmes, il en aurait mis sa main à couper. Mais pourquoi pleurait-elle ?

Il la vit faire un doigt d’honneur, claquer la porte puis retirer sa perruque et pleurer. Ces images tournaient en boucle dans son esprit jusqu’à son arrivée à Paris. Alors qu’il allait passer sa clef dans la serrure de sa porte, il était déjà tard mais il savait enfin ce qu’il devait faire. Si Antigone (bon sang était-ce réellement son prénom? Rien n’était moins sûr.) ne le rappelait pas il se devait de terminer au plus vite ce dernier roman sur les aventures de Bonnie Calamity et pour être sûr qu’elle vienne se le faire dédicacer, il dédierai ce tome non pas à sa muse mais à Antigone Cassandre Ophélie. (Que ce fusse ses véritables prénoms ou non.)

D’un pas assuré il franchit le seuil de l’appartement dans l’espoir de se rendre au plus vite dans son bureau et commencer son nouveau et dernier roman de la saga : « Bonnie Calamity 5 – La Chance au Rendez-Vous- » , le titre lui vint à l’instant à l’esprit oui ce serait bien ça, la fin des mésaventures de Bonnie Calamity la poisseuse avec une fin prometteuse et pleine d’espoir.

Il avait à peine eut le temps de poser sa sacoche à terre et de retirer sa parka, que Sarah-Jane lui sauta littéralement dans les bras, surpris il ne la rattrapa qu’in extremis, ses bras pendus à son cou, ses jambes autour de son bassin, elle l’embrassa avec gourmandise, ne le laissant qu’à peine respirer.

-J’ai une grande nouvelle, tu vas être papa ! Je suis enceinte !

Alex manqua de faire tomber sa femme, abasourdi au choc de l’annonce.

***

Sarah-Jane était encore toute aussi enthousiaste le lendemain matin au petit déjeuner, elle babillait, parlait déjà d’annonce, de matériel de puériculture, de chambre d’enfant, de prénoms… Alex , lui, n’avait pas encore ingéré l’information. Cela faisait vingt minutes qu’il était devant son café froid et les seuls mots qui purent franchir ses lèvres furent :

-Mais, tu en es sûre ?

Pour toute réponse elle lui déposa devant lui trois tests de grossesse avec des barres roses (sur la table de la cuisine ! Elle a pissé dessus et elle me met ça sous le nez sur la table de la cuisine, mais c’est dégueulasse!)

-Mais tu n’as pas vu ton médecin.

-Non j’y vais tout à l’heure, mais trois positifs, y a aucun doute.

-Tu sais ma chérie, je ne voudrais pas te faire de fausses joies mais on ne sait jamais ce n’est pas fiable à cent pour cent ces trucs.

-Chéri ! Je n’ai pas mes règles depuis presque deux mois, j’avais un doute, je me suis dit au départ que toutes ces émotions… donc j’ai fait le test et dans la foulée j’ai téléphoné à mon médecin, elle peut me recevoir cet après-midi. Oh que je suis heureuse. Tu préfères une fille ou un garçon, enfin je crois qu’on ne peut pas choisir, on verra le moment venu mais on peut déjà choisir des prénoms, tu voudrais quoi comme prénom pour une fille ? J’avais pensé à quelque chose qui rappellerait ton métier de romancier, un prénom classique, comme… Qu’est-ce que tu penses de Jane comme Jane Eyre ou Jeanne dans « Une Vie » de Maupassant… en plus c’est une partie de mon prénom.

Alex, sans savoir pourquoi s’énerva :

-Ben voyons ! Jane comme Calamity Jane ou Jeanne comme Jeanne D’Arc, tu chauffes ma chérie, tu brûles même, sauf ton respect ou la moitié de ton respect ; et pourquoi pas Antigone tant que tu y es ?

-Mais ne t’énerve pas mon amour, je sais que tu es très fatigué, que tu as mal dormi cette nuit, tu n’as pas arrêté de te retourner, certainement le stress d’hier, je ne t’ai même pas demandé comment ça s’était passé, mais on a le temps et pis, si ça se trouve, ce sera un petit garçon, on a le temps…

-Tu as raison ma chérie, je suis fatigué, la journée d’hier ne s’est pas passé comme je l’espérais, j’irai voir Michel tout à l’heure, je te demande encore pardon.

-Je comprends, mais si c’est une fille hors de question qu’on l’appelle Antigone, je n’ai pas envie que ma fille se pende, du coup on évitera Jeanne aussi, on choisira un prénom plus courant, plus moderne…

-Tant que ce n’est pas Barbie.

-Ça ne risque pas, je crois que ça ne me reprendra plus de si tôt.

Alex ne savait plus où il en était , il était perdu et ne savait plus quoi en penser. Ni à quoi penser pour être plus exact, il doit commencer son roman, il va être papa, Antigone le perturbe… et pourquoi Antigone le perturbe, d’ailleurs?

Il avait souhaité se rendre dans son bureau, s’enfermer pendant plusieurs jours et n’en sortir qu’une fois le roman terminé, il devait aller voir Michel et maintenant… ça ! Il avait certes quelques mois devant lui avant que les choses se concrétisent mais avoir réellement un enfant ? Pour être franc, il en avait parlé avec Sarah-Jane un soir sur l’oreiller , mais le fait d’en avoir un pour de vrai, il ne s’était jamais posé réellement la question. Concrètement, il ne se voyait pas avec un enfant et certainement pas maintenant. Qu’allait-il faire ?

Michel ! Mike ! … Il devait aller rendre visite à son ami, lui saurait le conseiller, lui parler… Alex embrassa sa femme et se rendit dans les bureaux des Éditions Shérif .

A peine arrivé dans le bureau de Mike, celui-ci, accueilli son ami à bras ouvert :

-Alex ! Mon ami, mon pote, mon frère ! J’ai eu Véronique Boyer au téléphone hier soir, elle était ravie, la fréquentation de sa librairie a explosé ; les ventes ont dépassé ses espérances, donc les miennes. La directrice de la Librairie Nouvelle d’Orléans est contente donc moi je suis content. Donc maintenant dis-moi que tu as commencé ce maudit dernier roman.

-J’ai trouvé le titre.

-Bien, très bien, mais généralement tu fais ça à la fin… Non, laisse tomber c’est pas grave. Dis-moi que tu as commencé les premiers chapitres.

-Hier en rentrant à mon appartement, c’était bien parti , j’étais à fond, bien stimulé pour écrire toute la nuit…

-Et ?

-Et Sarah-Jane m’a annoncé qu’elle était enceinte.

-Félicitations! Et ton bébé à toi ? Il en est où ? Parce que n’oublie pas que tu dois le pondre avant ta femme. T’as une ébauche, quelques chapitres ?

-Non, rien, tu ne m’as pas bien entendu je t’ai dit que Sarah-Jane attendait un enfant.

-Ouiiii, … je t’ai bien entendu… et je t’ai déjà félicité … mais t’as encore huit ou neuf mois avant de paniquer ; en revanche là si tu me dis que tu n’as rien de plus que le titre, c’est moi qui vais paniquer. Tu es sous contrat Alex et tu sais très bien que ton roman devrait être commencé depuis trois mois déjà. Qu’est-ce que tu attends ?

-Écoute, mec, j’ai été pris au dépourvu, je ne m’y attendais pas et pis y a Antigone…

-Antigone ? C’est quoi ça Antigone?

-Tu sais la rouquine de la librairie, celle qui m’a renversé du café sur le pantalon, celle qui m’a dédicacé mon propre bouquin.

-La folle ?! Qu’est-ce qu’elle vient faire dans cette histoire ?

-Elle était à Orléans , elle m’attendait à la gare et…

-C’est une cinglée, écoute, ne fais pas le con Alex, tu te reconcentres et fissa. Mets de côté l’autre érotomane, au pire couche avec elle si ça peut t’aider à te concentrer, offre des fleurs à ta femme mais termine moi ce foutu roman et vite, on parlera de tes états-d’âme avec les gonzesses une autre fois, tu te rends compte de l’enjeu ? Il va falloir ensuite renaître avec un autre projet. Pouponne si tu veux entre temps mais tu as une nouvelle réputation, une renaissance à instaurer.

-Je pensais écrire quelque chose de nouveau mais sous le nom d’Alex Martin, quelque chose de plus personnel.

-Si tu veux, moi ça me va, Stephen King a bien écrit plusieurs romans sous le nom de Richard Bachman et ça n’a rien ôté à son talent, ni à sa notoriété . Ne me regarde pas avec ton regard de bitchface, j’ai des connaissances livresques moi aussi, je ne fais pas qu’éditer, je lis parfois aussi. Si tu veux écrire sous ton vrai nom, vas-y, tu as des idées, tant mieux mais par pitié finis-moi ce putain de tome 5.

-D’accord, d’accord, je m’y mets en rentrant. Mais dis-moi, comment tu as dis au sujet de mon regard ?

-Hein ??? Ton regard ?

-Oui, tu m’as dit : ne me regarde pas avec ton regard je sais plus quoi quand tu parlais de Stephen King.

-Ah ouais ton regard bitchface qui veut dire : t’es sérieux là ? Tu le fais tout le temps.

-Oui, c’est ça ! Le regard bitchface, c’est comme ça que m’a regardé Antigone, hier quand je lui ai demandé si elle était librairie ou chauffeur, c’est ça ! Dis tu m’autorises à reprendre cette expression dans mon roman ?

-Tout ce que tu veux mais par pitié, mets -toi au travail.

Après cette conversation, Alex retrouva l’inspiration. Il retourna chez lui avec la ferme intention de commencer son roman et d’écrire jusqu’à ce que l’arthrose lui immobilise les doigts. Le seul travail sérieux serait de trouver une finalité heureuse aux aventures de Bonnie Calamity et il avait déjà sa petite idée dessus. Une belle rencontre et la description de toutes les catastrophes inédites auxquelles elle pourrait s’attendre et étonnamment avec cet homme tout se passe bien, le plus normalement du mode. Une blouse blanche sans tache, un collant qui ne file pas, un compliment au lieu d’une vacherie qui sortirait de sa bouche alors que la personne concernée serait derrière elle, une promo… Il avait la finalité de son roman.

En rentrant à la maison, Sarah-Jane était absente et ce n’était pas plus mal. Alex se servit un scotch et s’installa dans son bureau. Il alluma l’ordinateur en se faisant la promesse que son prochain roman ne serait pas écrit par Max Morgenstar mais par Alex Martin mais qu’en plus il l’écrirait sur la vieille machine à écrire de sa mère si tant est qu’il trouvât des rubans, à moins de trouver une machine électronique ? Non autant prendre l’ordinateur… Mais là il s’égarait de nouveau.

Alex se passa les mains sur le visage et retira l’emballage d’une sucette, elle était à la cerise, son parfum préféré, tout allait bien se passer. Il commença à taper :

« Bonnie Calamity 5 – La Chance au Rendez-Vous- »

Il ouvrit ensuite son navigateur internet, cliqua sur ses favoris et ouvrit la page du blog de Sarah-Jane.

Page introuvable.

Alex recommença la manipulation.

Page introuvable.

-Bon sang ! C’est quoi ce bordel ? Encore un bug internet. Foutue informatique.

Il retourna sur la page d’accueil du blog, en essaya un autre, ça fonctionnait. Il fit une recherche dans la barre du blog, on lui proposa d’autres blogs similaires mais celui de Sarah-Jane était introuvable.

-Mais c’est pas vrai !

Alex tapa du poing sur son bureau. Avec énervement il tenta d’autres mots clés, le blog était introuvable, certainement supprimé lui indiquait-on. Alex se leva et jeta sa souris au travers la pièce ; Il se rendit dans la cuisine et consulta l’ordinateur portable de sa femme. Il retenta une recherche.

Page introuvable.

Favoris.

Page introuvable.

C’est à cet instant que Sarah-Jane rentra de son rendez-vous avec sa gynécologue.

-T’as fait quoi du blog ?

-Tout d’abord, je vais bien, je suis enceinte de six semaines, merci de t’en soucier.

-Oui, excuse-moi, mais Michel attend mon nouveau roman de toute urgence et je ne retrouve pas le lien du blog.

-Q’est-ce que tu racontes ?

-Ton blog. Bonnie Calamity. Il a disparu et j’en ai besoin pour terminer mon histoire, je m’en sers une dernière fois et après on n’en parle plus,ok ?

-T’as regardé sur quoi ?

-J’ai essayé sur mon ordinateur, le tien, les favoris, j’ai fait une recherche sur le blog, sur internet, plus rien. T’as tout effacé ou quoi ?

-Je n’y suis pas allée depuis des mois…

-Tu as parlé du scandale sur ton blog ?

-Non, bien sûr que non, je n’y suis pas allée… Michel m’a bien prévenu que je devais tout arrêter.

-Alors tu as effacé le blog ?

-Mais non, je… Elle se mit à pleurer. Excuse-moi ce sont les hormones.

Alex la prit dans ses bras et la consola :

-Excuse-moi ma chérie, pardon, pardon, pardon … Tu n’as fait que ce que Mike t’a demandé, maintenant tu vas juste devoir m’aider à retrouver ce que tu écrivais. Tu avais un brouillon ? Des synopsis, un journal intime à quoi tu devais ton inspiration ?

-Non… Non… J’écrivais comme ça me venait, une ancienne anecdote, je l’embellissais pour lui donner un peu plus de cachet.

-Tu n’as plus rien, il n’existe plus rien ? Il y a une possibilité pour que le blog soit réactivé ? Un enregistrement ? Une copie ?

-Non, Alex, je suis désolée, le blog n’existe plus et il n’y a aucun exemplaire nulle part et même si quelqu’un avait fait un copier-coller des articles il n’y a aucun moyen de le savoir ou de remonter jusqu’à cette personne.

-Même par un pro de l’informatique, remonter à l’adresse IP ?

-Ta Propre adresse IP ??? On est ni dans une série télé ni dans un de tes romans. Une fois le blog supprimé il l’est définitivement. Je suis navré mon chéri.

-Mais bon rien n’est perdu. Moi qui ai toujours voulu que tu écrives toi-même tes péripéties, tu l’as fait une fois, tu vas pouvoir recommencer. Allez hop, il n’y a pas de temps à perdre, tu vas prendre un papier, un crayon et noter tout ce dont tu te souviens, même si ce n’est qu’une idée, une ligne directrice, je broderai, allez Sarah, j’ai besoin de toi. Tu peux m’aider ?

Sarah-Jane n’avait plus le choix, elle reprenait le chemin de l’écriture et son périple s’avéra plus escarpé que prévu.

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