La Muse – Chapitre 7

Révélation

Le Tschann 13 ressemblait à un décor de film post-apocalyptique, à un synopsis illustré du fils illégitime de Bagdad et du Bronx.  Le propriétaire des lieux était hors de lui et menaçait Mike de le poursuivre en justice. Quant à ce dernier, même si la soirée ne s’était pas déroulée comme il l’avait espéré , il était ravi de la tournure qu’avaient pris les événements, ce qui, il en était certain, lui apporterait outre le buzz de départ d’un double lancement littéraire, une place de choix dans les magazines people et ce quelques jours avant Noël. Les journalistes étant sur place, il n’avait aucun problème pour imaginer la publicité que lui apporterait  cette légère échauffourée.

En revanche il ne s’était certainement pas attendu à ce qui allait suivre. Lui qui avait l’habitude de dire que bonne ou mauvaise, toute publicité était bonne à prendre, n’avait pas venu venir le petit détail qui pourrait mettre fin à sa carrière en même temps que celle de ses amis.

Ayant été physiquement agressée, Barbie Parker faisait sa diva, surjouant la dernière scène rajoutant des détails se victimisant davantage . Alex tenta de la calmer, mais elle le repoussa lui criant qu’il ne comprenait rien à rien, que cette « folle » lui avait griffé le visage, qu’elle était défigurée et qu’il fallait s’attendre à de la chirurgie esthétique pour réparer les dégâts. Tout ça devant une caméra. Les autorités mirent fin au tournage de l’interview inopinée devant une Sarah-Jane qui menaçait de traduire en justice la névrosée qui avait osé porter atteinte à son image, juste avant qu’on lui demande de se rendre au poste de police le plus proche afin de porter plainte.

Malgré la sécurité, les autorités, les secours, les journalistes, les badauds et autres curieux, la présentatrice télé agressée, son écrivain de mari, leur agent ainsi que le propriétaire du Tschann 13 furent emmenés au commissariat. Barbie Parker saluant la foule à son passage telle une star foulant le tapis rouge du festival de Cannes, non sans mettre en évidence sa joue meurtrie.

Alex ne fut pas inquiété, il n’avait été qu’un dommage collatéral. Il avait été au mauvais endroit au mauvais moment. Il fut un temps tenté de dénoncer sa fan qui avait volé un exemplaire de son roman, mais ce n’était qu’une goutte d’eau dans cet océan de dégâts et de scandales. Et puis il le savait, il la reverrai.

Entre Michel et le propriétaire de la librairie, ce n’était qu’une histoire d’assurances, de « à qui la faute » ainsi qu’une plainte conte X. pour destruction de biens. l’affaire serait réglée à coups de billets. L’avocat des Éditions Shérif était déjà arrivé avant même  qu’il y ait eu un début « d’invitation à se rendre au poste » pour ne pas dire arrestation. Cela mit la puce à l’oreille d’Alex, qui, bien qu’athée, priait quand même intérieurement pour que son ami d’enfance n’ait pas organisé un départ d’émeute pour justement se faire davantage de publicité devant les médias présents. Il en savait son ami tout à fait capable d’une telle organisation. Le Grand Mike. Si Michel n’avait pu prévoir l’agression de Sarah-Jane, la pyramide de coupes de champagne, un agitateur… ces deux seuls petits détails auraient suffit pour lancer ce grain de sable dans l’engrenage.

Non Michel n’aurait pas pu être à l’origine d’un tel désastre… Pourtant…

Alex fut brusquement sorti de ses pensées lorsqu’un policier voulut s’entretenir seul avec Sarah-Jane. Maître Linda Manzzini (qui aux dires de Michel, était plutôt Maîtresse Linda aux tendances dominatrices à la tombée de la nuit) était en conversation depuis quelques minutes avec Sarah-Jane.

Alors qu’Alex pensait que son épouse allait faire une déposition et porter plainte contre la femme qui l’avait agressée, il apprit par l’avocate qu’on avait porté plainte contre cette dernière pour plagiat et vol de photos soumises à des droits d’auteur. L’avocate de Michel allait représenter sa cliente.

Alex était perdu. Lorsque Michel vint à sa rencontre après avoir réglé ses « affaires » avant que la justice ne prenne le relais, il se rendit compte que son comparse, son vieil ami de toujours n’en savait pas davantage à ce sujet.

Ils étaient loin, très loin, d’imaginer tous deux le scandale qui allait découdre de cette affaire.

Ce n’est que le lendemain en début d’après midi, qu’Alex eu enfin des réponses à ses inquiétudes et ses questions.

Ils étaient chez eux, Michel les avait rejoint avec Maître Manzzini. Et personne n’était d’humeur joyeuse , bien au contraire. Nous étions le 23 décembre et personne ne pensait aux festivités ni au réveillon. Les nouvelles avaient été très vite à se répandre. Les turbines de la presse étaient plus actives que jamais, des fuites avaient eu lieu au poste de police. La femme qui avait agressé Barbie avait eu droit à des interviews exclusives. Des Scoops, éditions spéciales et hors série allaient se répandre d’ici à deux jours, Noël passait à la trappe et l’émission spéciale Noël « Le réveillon de Barbie Parker » avait été déprogrammé, pire… Sarah-Jane avait été virée. La carrière de la présentatrice télé était détruite à tout jamais.

Michel pouvait faire une croix sur le livre de Barbie Parker, la notoriété de sa pouliche et pire… Seul resterait le scandale. Mike le roi. Mike l’agent provocateur. Mike venait de perdre… tout. Sa crédibilité, son statut, sa réputation… Sarah-Jane venait de détruire sa vie.

Tous les quatre, dans le salon des Martin, il était temps de jouer cartes sur table.

Après un long silence. Sarah-Jane tenta de s’expliquer.

-Je suis désolée, Alex, je ne voulais pas…

-Tu ne crois pas, que tu devrais présenter tes excuses à d’autres personnes. Moi en l’occurrence? L’interrompit Michel.

-Je suis désolée, pleurnicha-t-elle. je ne voulais pas…

Michel n’en avait pas fini avec elle.

-Mais bordel Sarah-Jane! Tu te rends compte, tu nous as tous trahis, moi le premier. Que tu présentes tes excuses à Alex, ok c’est ton mari, mais moi, bordel, MOI! Tu as pensé à moi une seconde? Tu viens de détruire ta carrière mais la mienne aussi. Comment as-tu pu? Sans moi Barbie Parker n’existerait pas. J’ai façonné la présentatrice télé, la miss météo, tu es MA création. C’est moi qui t’ai donné l’occasion d’éditer tes livres de recettes, bordel! C’est moi, MOI! Tu te rends compte que je suis accusé de complicité? Ah ben oui! le Grand Mike toujours à l’affût d’une bonne pub, d’un bon buzz pour faire parler de lui. Ah ben merci, tu viens de me le donner là, et tu as fait fort! Tu viens de détruire TOUT! Ta carrière, la mienne et peut-être même celle d’Alex!

-Nan mais je n’ai rien à voir là-dedans t’es trop dur Michel!

-Mais ouvre tes mirettes, Alex, grâce à ta gonzesse, nous n’avons plus de crédibilité il en est fini de Mike Shérif, de Max Morgenstar… nos vies sont finies à cause d’elle! S’emporta Michel.

Linda Manzzini ne disait rien. Elle se demandait même à la limite ce qu’elle faisait ici, mais plus elle en apprendrait sur sa cliente, plus facile serait de la comprendre et de la défendre.

Alex était néanmoins furieux contre son épouse malgré un calme de façade olympien.

-Pourquoi tu as fait ça? Fut la seule question qu’il posa à sa femme.

Sarah-Jane se tordait les doigts, elle paraissait si petite et frêle dans ce fauteuil, son teint était blême, son maquillage avait coulé, ils n’avaient même pas eu le temps de prendre une douche après les événements de la nuit, personne n’avait dormi. Elle ne cessait de sangloter telle une gamine. Cela agaçait Alex au plus haut point. Il avait toujours été attiré par le côté femme-enfant de Sarah mais là elle dépassait les bornes et en plus de l’avoir déçu elle en rajoutait. Les minutes passaient, Alex perdait son calme intérieurement sans pourtant laisser paraître sa colère et sa déception. Il aurait eu vingt ans il lui aurait craché au visage et lui aurait demandé de dégager de sa vie. Il n’était plus question de sentiment. Depuis qu’ils s’étaient rencontrés ils s’étaient jurés de ne jamais se mentir, l’un et l’autre. Dissimuler une telle chose à son mari était pire qu’un mensonge, c’était une trahison.

Linda intervint:

-Racontez comme vous en êtes arrivés là?

Elle tourna la tête vers son époux sans forcément le regarder dans les yeux.

-Tu sais que j’aime surfer sur le net… -devant le silence d’Alex elle poursuivit- Je vais de blog en blog à laide de nouveaux talents pour mon émission de télé… enfin mon ancienne… ma…

-Continue! Ordonna et s’impatienta Mike, tu parleras de tes regrets plus tard.

-Bref je cherchais donc des invités inconnus qui passionnés de cuisine pourraient un jour participer à mon émission et cuisiner auprès d’un grand chef. Et puis un jour, j’ai trouvé une recette sympa sur un blog pour un gâteau aux noix.

-Oui je m’en souviens. Intervint Michel, tu l’as amené sur le plateau, le chef du jour l’a trouvé excellent, t’a demandé la recette, on a pris une photo de toi présentant le gâteau au chef et c’est comme ça que m’est venue l’idée d’en faire un bouquin, c’est même la couverture du livre « Dans la Cuisine de Barbie Parker ».

-Oui sauf que ce n’était pas ma recette.

Alex minimisa la chose:

-Et alors tu retrouves cent fois les mêmes recettes sur internet, une tarte aux pommes c’est une tarte aux pommes on s’en fout de la pincée de cannelle en plus, tout le monde fait plus ou moins pareil.

-Sauf qu’aucune de mes recettes ne sont les miennes.

-Plagiat sur des recettes de cuisine, c’est ridicule! 

Alex s’était levé, servi un verre de bourbon et chose qu’il n’avait pas fait depuis des années s’était allumé une cigarette. Personne ne lui fit de remarque.

-Ce n’est pas si simple monsieur Mongenstar.

-Martin! Alex Martin, Maître, j’en ai rien à foutre de Morgenstar ou de Barbie Parker. C’est Sarah-Jane Koch qui est mise en cause aujourd’hui.

Sarah-Jane éclata en sanglot à l’entente de son nom de jeune fille. A ce moment là, cette fraction de seconde, elle savait. Elle ne représentait plus rien aux yeux de son époux qui à cet instant ne voulait même plus partager son patronyme avec elle.

C’est toujours en sanglotant qu’elle tenta de s’expliquer:

-J’ai … je… je ne me suis pas contentée de voler des recettes, j’ai volé des photos aussi.

Michel regarda Linda:

-Mais toutes les photo sont filigranées, il n’y a pas moyen??

-Non, Michel. Encore si les photos avaient été celles de madame… Koch (l’avocate lança un regard à Alex ayant compris qu’il ne souhaitait pas que son nom soit associé à cette sombre affaire) ou faites par un photographe embauché pour l’occasion…

-Mais… Fabrice! Fabrice Raunner. J’ai engagé Fabrice Raunner pour photographier et mettre en scène tes plats pour le bouquin.

-J’ai donné dix pour cent de salaire supplémentaire à Fabrice pour qu’il te taise que je faisais les photos moi-même. Avoua Sarah-Jane.

-Piratais les photos, tu veux dire! cracha Alex d’un ton acerbe.

-Mais les photos sont superbes! tenta Sarah-Jane.

-Mais pas de vous, compléta Maître Manzzini.

Alex lança son verre de bourbon contre le mur et laissa éclater sa fureur. Les trois autres sursautèrent, il s’approcha vivement du fauteuil où se renfermait, honteuse, son épouse; plaqua ses mains sur les bras en cuir du siège et son visage à quelques centimètres du sien, fit siffler entre ses dents.

-Et t’as jamais eu l’idée de prendre en photo tes propres plats même si la recette est issue d’un blog et que tu y as rajouté une pincée de sel ou trois olives supplémentaires, puisque citer tes sources ne t’es pas venu à l’esprit!

Sarah-Jane éclata en sanglots de plus belle et révéla:

-Je n’ai jamais réalisé ces recettes!

Alex se retourna et alla se resservir un verre et rallumer une cigarette:

-Ça , c’est le pompon!

Médusé, Michel reprit:

-Tu veux dire que tu as fait un copier-coller de la recette ET des photos sur un blog, et que MOI j’ai édité en ton nom l’œuvre d’une autre?

-C’est ce qu’on lui reproche en effet, précisa Linda. Et cette autre n’est que la furie du Tschann 13 qui lui a sauté dessus.

Michel explosa à son tour:

-Parce que crétine comme tu es, il ne t’est pas venu à l’esprit qu’une fan de cuisine verrait un jour ton émission ou la couverture de ton bouquin? Parce qu’en fait la seule et unique photo véritable et propre est celle de la couverture de ton premier bouquin de recettes et que tu oses me dire par là que tu n’as jamais essayé une autre recette. A part le gâteau aux noix dont la recette n’est pas la tienne… Tout vient de cette… femme!
Mais bordel! Tu pouvais venir m’en parler? On aurait fait quelques modifications, fait intervenir des pros qu’on reçoit dans l’émission, citer des sources, utiliser des produits locaux ou bios, au pire citer une ou deux de tes sources et les inviter dans tes émissions pour les remercier. Tu te rends compte dans quelle merde tu nous as foutu, Sarah? C’est moi le metteur en scène de vos carrières, MOI! Tout est réglé, mesuré, calculé, n’est-ce pas Linda? Elle acquiesça. Le chef d’orchestre c’est MOI! Le moindre couac est prémédité, comme le cordon qui cède au Tschann 13 ou la pyramide coupes qui se casse la gueule…

-Je le savais! Coupa Alex.

-… tout était prévu sous contrat écrit avec le traiteur et le proprio de la boutique de manière à ce qu’aucun bouquin ne soit abîmé , juste pour faire un léger buzz… Mais ça… ÇA ! C’est inacceptable et irrécupérable…

-Et impardonnable, dégage!

-Mais Alex…

-Dégage! Tu viendras prendre tes affaires plus tard, tu me dégoûtes, sors de chez moi.

-Alex?

-Dé-Ga-Ge!!

A peine la porte refermée sur le dos de Sarah-Jane, alors que ni Michel, ni Linda ne posèrent de question, Alex redevint un instant professionnel.

-A quoi faut-il s’attendre maintenant?

-Un lynchage en public, avoua Michel.

-Je pose la question à Mike. Peut-on sauver les meubles?

-Ta réputation est certes entachée, la mienne aussi; mais elle ne concerne pas Max Morgenstar. 

-Tu proposes quoi?

-Tout ce qui concerne Barbie Parker…

-Je m’en tape de Sarah-Jane et de ses conneries… Je te parle de moi, pas d’Alex le mari dupé par son usurpatrice de femme, mais de Max, le romancier, on fait quoi?

-La séance de dédicace est maintenue après Noël, le 26 et après…

-Après… Rien du tout! N’oublie pas que Bonnie Calamity c’est le blog perso de Sarah-Jane et que pour se venger elle pourrait très bien dire que j’ai plagié sa page. Ma carrière est foutue, Michel. Foutue! Il en est fini de Bonnie Calamity et de ses péripéties. Je ne suis qu’un mystificateur et le monde va s’en apercevoir. On va parler de nous, Mike, entends raisonner le glas. C’est la fin.

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