La Muse – Chapitre 4

La Fan

Au cours de sa carrière de romancier, de nombreux fans étaient venus à la rencontre de Max Morgenstar. Il reconnaissait même certains visages lors des séances de dédicaces. Des inconnus souhaitaient être pris en photo aux côtés d’Alex; il était même parfois arrêté dans la rue le temps de prendre un selfie. Alex se prenait au jeu, ça ne durait jamais bien longtemps. Pour tout ce qui était courrier, mail ou image publique sur internet, c’est son épouse qui gérait la situation, c’était elle la femme de tête et la gérante de sa carrière (en collaboration avec Michel bien évidemment). Il ne se souciait guère de la communication, il se contentait d’écrire et d’être là où on le lui demandait. D’autant plus qu’il n’y avait jamais QUE du courrier de groupies. Max recevait régulièrement des lettres méchantes, cruelles, de menace, mais comme tout ce qui était paperasse, c’était du domaine de Sarah-Jane et parfois même de la police ou de la justice, ça avait déjà été le cas…

L’année 2017 fut un millésime exceptionnel pour Max Morgenstar. Elle commémorait les dix ans de mariage de deux stars et entraient donc dans le club des amours qui durent. C’était aussi l’année de la consécration de « Bonnie Calamity » avec celle de l’auteur. Après seulement un an d’existence, le personnage en était déjà à son troisième volume de ses péripéties et le quatrième allait naître juste pour les fêtes de fin d’année.

Plus fort que « Duo de Chics », l’année là, les tracas quotidiens d’un personnage quelconque avaient suscité la curiosité de nombreux lecteurs. On disait de Max qu’il écrivait comme une femme, qu’il avait bien cerné, à travers ses lignes, la gente féminine; certains sont même allés jusqu’à dire qu’il était homosexuel, transgenre et un magazine people aurait même déniché un vieux document médical sur lequel il aurait été pronostiqué que le romancier était hermaphrodite. Un bon procès en bonne et due forme pour diffamation avait arrangé la situation qui pour le plus grand bonheur de Mike Shérif, avait dopé les ventes de « Bonnie Calamity »

Tant et si bien que cette année là , il reçut aussi le Prix Femina.

Alex avait réussi, on ne parlait que de lui. Mais Alex se sentait mal. Alex n’était pas serin. Alex savait. Alex doutait. Alex ne méritait pas tout ça.

Toute cette gloire, ces prix, ces honneurs ne lui revenaient pas. Dans chacun de ses discours il avait beau remercier sa Muse, en faisant monter sur scène sa femme, avouer publiquement que sans elle il n’en serait pas là aujourd’hui… Rien n’y faisait. Alex était un usurpateur.

Ce travail, c’était celui de Sarah-Jane , pas le sien. Son adorable épouse qui le soutenait et le consolait en lui disant que dédier « Bonnie Calamity » à sa Muse sur chacun de ses bouquins lui suffisait amplement. Qu’elle aussi profitait de son argent et de sa notoriété. Qu’elle et lui ne faisaient qu’un pour toute la vie et que c’était du pareil au même, que jamais elle n’aurait pu faire publier son blog tel qu’il était, qu’Alex avait fait un travail incommensurable pour rendre le personnage principal plus attachant que jamais…

Non!

Alex faisait un blocage. Il ne comprenait pas pourquoi sa femme qui était le véritable auteur de ses derniers romans n’en demandait pas davantage. Il la connaissait depuis onze ans. Sarah avait toujours souhaité être sous les feux de la rampe et des projecteurs. Elle en avait bavé au début de sa carrière mais recherchait elle aussi la gloire et la notoriété. Elle se prêtait plus aisément que lui au jeu des autographes et des photos. Elle troublait volontiers un dîner romantique en tête à tête pour échanger deux mots avec un fan qui l’avait reconnue. Alex ne lui en voulait jamais, c’était elle la vraie star, sa star. Alors pourquoi lui laissait-elle tous les lauriers, la popularité, la renommée de ses derniers romans? Certes elle était très occupée en cette année là avec la parution en fin d’année de son deuxième livre de recettes. Mike lui mettait une pression supplémentaire car il souhaitait qu’il fusse terminé avant Noël, il voulait faire paraître « Dans la Cuisine de Barbie Parker 2 » le même jour que « Bonnie Calamity 4 – Toujours Debout- » Michel avait déjà prévu un lancement du tonnerre faisant apparaître son couple fétiche ensemble, sous une avalanche de strass, paillettes et champagne dans une grande librairie parisienne: Tschann 13 – Librairie de la Bibliothèque Nationale de France. Sarah-Jane était à fond sur le projet de leur ami, mais Alex se sentait distant avec cette boule au ventre. Les propos de son épouse ne le calmaient pas. Et si quelqu’un découvrait la vérité? On lui attribuait tant de mérite et d’éloges mais toutes ces distinctions n’allaient pas à la bonne personne.

Lentement, Alex tomba dans une pente descendante, une dépression. Il avait tout pour être heureux mais un sentiment d’être un imposteur primait sur son talent.

***

Les mains jointes sous son menton, Alex fixait l’écran de son ordinateur. Michel le harcelait pour avoir son « manuscrit » du tome 4 de Bonnie Calamity qui devrait paraître dans quelques semaines. Il y a quelques jours, alors que son roman touchait à sa fin, Alex avait alors tout effacé. Il n’avait pas été surfer sur le blog de sa femme, pour piocher toute l’inspiration de ce nouvel opus et c’était la catastrophe. Si Alex devait avoir du succès avec ce nouveau roman ce serait un livre 100% Max Morgenstar et non un Sarah-Jane Martin sous la plume de Max Morgenstar, non pas qu’il dénigrait le travail de sa femme, bien au contraire, mais si « Bonnie Calamity » devait être réécrit: ce serait sous le nom de Sarah-Jane Martin. 

Bon sang! Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt! Il devait rendre à César ce qui appartenait à César, c’était l’œuvre de Sarah et non la sienne. Le monde devait savoir. Le véritable écrivain était Sarah et non lui. D’ailleurs depuis « Duo de Chics » il n’avait rien fait de potable et si ses autres bouquins s’étaient bien vendus c’est juste qu’ils étaient estampillés: « d’après l’auteur de Duo de Chics, Max Morgenstar »… La vraie romancière dans leur couple c’était Sarah!

Il se rendit directement au studio sans se doucher, ni se raser. Il interrompit l’enregistrement de l’émission de sa femme et lui fit part de son idée: avouer au monde entier qui était la véritable auteure de « Bonnie Calamity ».

La réaction de Sarah-Jane ne fut pas celle qu’il attendait:

-Si tu penses ça, tu n’es qu’un connard!

Abasourdit par leur première dispute en plus de 11 ans de vie commune, et en public qui plus est, Alex rentra chez lui, se mit dans son fauteuil, se servit un verre de whisky, le fit tournoyer dans son verre et pensa…

Il réfléchit… Ressassa longuement… Essaya de se remémorer quand est-ce que toute cette histoire avait merdé, au point de ne plus savoir qui il était aujourd’hui et comment avait-il pu se disputer avec la femme à qui il devait tout et surtout qu’il aimait plus que tout au monde?

***

Ses pensées le firent voyager dans le temps. Dans le passé. Au printemps.

Oui! Ça y était! Il se souvenait. Tout allait bien jusqu’à ce jour là. Il se rappelait. Cette femme. Une petite rousse aux grands yeux verts. Comment avait-il pu l’avoir oubliée? Non, la vraie question est comment pouvait-il se souvenir d’elle? Une fan parmi tant d’autres?

C’était le 24 mars 2017, au Salon du Livre à Paris. C’est là qu’il l’avait remarqué, non… reconnue. Il ne savait pas où il avait rencontré cette femme pour la première fois, mais il lui avait déjà dédicacé au moins un livre… non! TOUS ses livres. Il n’était pas certain d’avoir été pris en photo avec elle mais il lui avait dédicacé tous ses romans. Oui c’était clair maintenant.

En ce 24 mars 2017 il lui avait dédicacé le premier tome de la saga des « Bonnie Calamity ».

Lorsqu’elle était arrivée à sa table, lorsqu’il fut son tour de se faire dédicacer le roman, la jeune femme avait trébuché et renversé le gobelet de café d’Alex sur ses genoux. La jeune femme s’était confondue en excuses, à la limite des larmes aux yeux en faisant remonter ses lunettes sur son nez. Ce qui devait être un tic chez elle. Max s’était levé et une armada de personnes était venu éponger les dégâts avec  des serviettes en papier et autres mouchoirs jetables. Il les renvoya avec véhémence, insistant sur le fait qu’il n’y avait pas de souci et que son gobelet était déjà à moitié vide.

-Y a pas de mal, mademoiselle. Lui avait-il répondu, du café sur un pantalon noir, ça ne se verra pas. Heureusement ma chemise blanche n’a rien eu.

-Pas comme Bonnie Calamity  lors de son repas d’affaire!

Max inclina la tête, sourit et fit un clin d’œil à la jeune femme:

-Excellente allusion au roman, je vois que vous l’avez déjà lu. Si je peux vous révéler un secret: je crois que c’est mon anecdote préférée.

-Ça se ressent à la lecture du livre, on voit bien que ce n’est pas une situation imaginaire.

-Situation qui vient de se réitérer. Alors? A qui dois-je dédicacer ce roman?

-A Bonnie Calamity.

-??? Pardon?

-A Bonnie Calamity, mais je souhaiterai que vous me dédicaciez votre œuvre à la page dédiée à votre muse… enfin… si c’est possible…

-Soit!

Alex prit le roman de la jeune fan , décapuchonna son stylo plume plaqué or et inscrivit:

«  A Bonnie Calamity

qui a cerné le personnage jusque dans la vie réelle (café renversé sur mon pantalon)

A ma Muse…

Paris, le: 24/03/17

Max Morgenstar « 

La jeune femme haussa les épaules, toute souriante, remonta ses lunettes sur le nez, prit son exemplaire en main, lut sa dédicace, ferma le livre et l’emprisonna de ses bras contre son cœur.

-Merci monsieur Morgenstar, c’est parfait! Au revoir!

Elle disparut dans la foule, Alex n’avait même pas répondu à ses salutations, il était déjà entrain de dédicacer un autre exemplaire à une autre lectrice.

Cet épisode de sa vie était alors sorti de son esprit… Jusqu’à aujourd’hui. 

Pourtant des demandes étranges il en avait déjà eu. Il n’avait pas accédé à des requêtes aussi farfelues que de dédicacer des fesses ou des seins, néanmoins, il avait quand même déjà vu une fan certainement érotomane s’être fait tatoué son autographe sur les côtes, elle lui jurait que c’était lui qui l’avait encré à tout jamais en signe d’appartenance absolue. Ce jour là, ce fut la sécurité qui avait du intervenir et certainement des soigneurs en psychiatrie. Ce genre de situation se révélait exceptionnel, mais il y avait déjà eu des débordements. Alex était très bel homme et ce n’est pas parce que son mariage avait été public que ça arrêtait les fous. Un jour il avait même failli être poignardé par un fan de Barbie Parker qui voulait l’éliminer pour pouvoir vivre le grand amour avec la présentatrice télé.

Du coup , se souvenir d’une dédicace en particulier et du physique de la demandeuse qui plus est… turlupinait l’écrivain.

Il but une gorgée de whisky et replongea dans ses souvenirs. Il avait revu cette jeune femme, il en était certain.

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